Au nom du père
J’ai commencé ce projet suite à l’obtention d’une bourse du CNAP, en 2022. Le titre initial était Espace, Temps et mon intention était de voir comment les gens perçoivent le temps, et la vie, dans un endroit dangereux. Plus précisément, je voulais voir si la possibilité d’une catastrophe imminente renforçait, ou au contraire anéantissait le présent. J’ai choisi de faire ce projet dans la vallée de la Romanche car le danger y est omniprésent et toujours visible. Une montagne va tomber, les scientifiques l’annoncent depuis des années, et les gens qui vivent là ont en permanence accès à cette perspective : il leur suffit de lever la tête. J’ai également choisi cette vallée car mon père m’en parlait beaucoup lorsque j’étais enfant. Il disait tout le temps que cette vallée était dangereuse, qu’un jour la montagne tomberait, et que les gens qui vivaient là étaient fous. Ce lieu était d’ailleurs logiquement devenu le théâtre de mes cauchemars.
Ce travail a donc commencé par une recherche de gens qui avaient des rochers dans leur jardin, de gens qui avaient construit leur maison contre, ou sur des rochers. Ces rochers ont été mon fil rouge pendant deux ans, et ces rencontres ont souvent été l'enjeu principal de mes voyages. Mais il se trouve qu’en revenant dans cette vallée, j’ai également retrouvé mon père. Car après tout ce qu'il m'avait dit sur cet endroit, il s’est installé là, entre ces montagnes qu'il avait tant décriées. Il y vit seul, et très isolé, depuis sa propre catastrophe.
J’ai donc arpenté cette vallée, photographiant des gens, des routes abandonnées, des rochers en suspens. La menace rendait tous les temps accessibles et le sujet avançait bien, dans une alternance de portraits et de paysages. Les rares photos que je prenais de mon père, quand je passais lui dire bonjour, ne comptaient pas. Je les faisais pour moi et les laissais de côté. C’est ainsi qu’une partie de ce récit m’a échappé. Il y a quelques mois, j’ai commencé à m’interroger sur ces images. « Elles marchaient », mais qu’étaient-elles ? Est- ce que je réalisais un travail sur mon père ? Inconsciemment, j’ai peut-être voulu comprendre pourquoi il s’était installé au milieu de mon cauchemar d’enfant.
J’ai avancé les yeux bandés pendant si longtemps dans cette histoire que j’ai mis du temps à en intégrer toutes les parties. Il y a des lieux abandonnés à cause de cette montagne qui s’effrite; il y a mon père qui fume dans sa cuisine; et ces images d’une cassette vidéo de Noël 1987, trouvée chez lui, derrière le canapé. Finalement j’aurais peut-être photographié le temps, mais pas de la manière dont je l’imaginais.
Texte en cours d'écriture.